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J’enfourche ma bicyclette à 5h ce matin car je veux rouler le plus possible avant que le soleil ne soit trop chaud. Quelques bars sont encore ouverts quand je quitte la ville de Tulum et m’enfonce dans la nuit avec ma lampe frontale. J’apprécie la fraîcheur de la nuit et le ciel étoilé au-dessus de moi.

C’est vraiment isolé comme route et il n’y a aucune habitation. Après 40 km, je répare une crevaison car une fine broche s’est insérée dans mon pneu. A 8h, je commence déjà à avoir chaud. Je suis à mi-chemin de ma destination et j’aperçois un resto au milieu de nulle part. Un toit pour me protéger du soleil, une chaise pour détendre mes jambes et mon dos. Comme je ne sais pas quand se présentera la prochaine occasion, je m’arrête.

Le personnel tarde à se manifester, alors je m’aventure jusque dans la cuisine pour signaler ma présence. Le personnel, c’est un homme d’une cinquantaine d’années, qui est à la fois propriétaire, cuisinier et serveur et qui parle seulement espagnol.

Je le salue et lui demande si je peux manger. Il me répond rapidement en espagnol et je ne comprends pas tout ce qu’il me dit, mais je crois comprendre qu’il me demande si je pense manger gratuitement.

Devant mon air ahuri, il change d’attitude. Surpris de ne pas avoir entendu de voiture s’arrêter, il me demande si je suis venue à pied. Je lui dis que je suis à vélo. Ma réponse le satisfait et il me demande ce que je veux manger. Mon vocabulaire espagnol est très limité. Comme j’aperçois des œufs dans la cuisine et que je sais que ça se dit « huevo », alors je commande des œufs.

Au moment de payer l’addition, il engage la conversation. Il veut savoir d’où je viens et s’il y a du travail pour lui au Canada, comme chauffeur de camion. Il voudrait que je l’emmène au Canada avec moi. Je mets fin rapidement à cette conversation qui me met mal à l’aise. J’ai soudainement retrouvé plein d’énergie pour poursuivre ma route.

Quelques nuages me protègent du soleil et quelques gouttes de pluie viennent me rafraîchir, mais le soleil finit toujours par revenir et j’ai trop chaud. Quand j’aperçois un arbre qui fait un peu d’ombre sur la route, je m’arrête en dessous quelques minutes pour faire descendre la température de mon corps. Est-ce que je m’adapterai au soleil et à la chaleur?

En arrivant à Felipe Carillo Puerto,  avec 95 km au compteur, j’aperçois un kiosque où une jeune femme prépare des jus de fruits et mon vélo s’y dirige automatiquement. Je lui commande un jus d’orange et elle me demande: « Yellow »? Jaune? Je ne comprends pas de quoi elle parle. C’est un client qui fait la traduction: Ice? Elle m’a parlé en espagnol pas en anglais: « Hielo »? ce qui veut dire Glace? J’essaierai de m’en souvenir la prochaine fois.

Déshydratée, j’avale 2 énormes verres de jus d’orange et j’observe la jeune serveuse travailler. Je remarque qu’elle m’a fait payer mes jus d’orange 20 pesos chacun et qu’elle en demande 10 aux autres clients. Ça me semble injuste.

J’engage la conversation en lui faisant remarquer que ça fait beaucoup d’oranges à presser. Elle me répond qu’effectivement elle fait ça de 6h le matin jusqu’à 10h le soir.

Alors je réalise que c’est ça qui est vraiment injuste. Je n’ai jamais eu à travailler 16 heures par jour pour assurer ma survie. Je suis née dans le bon pays à la bonne époque. J’ai un passeport canadien qui me permet de voyager partout où je veux dans le monde. J’ai de l’argent canadien qui me permet de me procurer tout ce dont j’ai besoin. Je suis vraiment choyée par la vie.

C’est quoi 10 pesos pour moi? Même pas 1 dollar. Combien j’aurais payé un énorme verre de jus d’orange fraîchement pressé au Canada? Pas mal plus que 20 pesos. Alors j’oublie le sentiment d’injustice. La vie n’est pas juste et j’ai la plus belle part du gâteau.